L'inespéré, Anne Dufourmantelle
- Emmanuelle Jay
- 25 août
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 16 sept.
L'inespéré et la psychanalyse, Anne Dufourmantelle

"Qu'est-ce que l'inespéré ? La figure la plus douce de l'inattendu, du hasard, de la rencontre ? Il prend racine dans l'espérance et la défait en même temps qu'il l'accomplit.
L'inespéré est une qualité du réel. La plus violente peut-être. Est-ce la raison pour laquelle nous voulons à tout prix en éviter l'effraction ? Que m'arrive-t-il ? se demande-t-on parfois. Ainsi opère l'inespéré, il ne réalise pas une promesse, elle le déborde de toute part."
Un extrait du livre : L'intelligence du rêve de Anne Dufourmantelle.
L'inespéré et la psychanalyse
La citation proposée interroge la notion d’inespéré : ce qui surgit sans avoir été prévu, ce qui échappe à toute anticipation. Elle l’associe au hasard, à la rencontre, à une effraction du réel qui bouleverse la continuité de l’existence. L’inespéré, dit le texte, prend racine dans l’espérance, mais la défait au moment même où il l’accomplit. En d’autres termes, il surgit en dehors de toute maîtrise, il surprend le sujet dans un espace qu’il croyait connu. C’est justement ce rapport à l’inattendu, au surgissement imprévisible, qui fait écho au champ de la psychanalyse.
La psychanalyse s’est constituée autour de l’idée que l’humain n’est pas maître dans sa propre maison. Le sujet conscient n’est pas souverain ; il est traversé par l’inconscient, par des désirs, des fantasmes et des traumatismes qui échappent à sa volonté. De ce point de vue, la rencontre avec l’inespéré dans la citation ressemble à ce qui se produit dans l’expérience analytique : quelque chose advient qui ne correspond pas à ce que l’on attendait, qui surprend, qui dérange parfois, mais qui révèle une vérité enfouie.
Anne Dufourmantelle
Lorsque Anne Dufourmentelle écrit : « L’inespéré est une qualité du réel. La plus violente peut-être. », cela rappelle la conception lacanienne du réel comme ce qui fait irruption, ce qui ne peut être symbolisé totalement et qui déchire le tissu de nos représentations. Dans une cure psychanalytique, le sujet est régulièrement confronté à ces surgissements du réel : un lapsus, un rêve, une association libre qui dévoile une vérité insoupçonnée. Ces moments sont vécus comme des effractions – violentes parfois – car ils dépassent le cadre attendu d’une simple parole rationnelle.
L’inespéré, tel que décrit dans la citation, « défait l’espérance en même temps qu’il l’accomplit ». Cela peut se comprendre en psychanalyse comme le paradoxe du désir. Le sujet espère une réponse, une guérison, une vérité définitive ; or ce qui surgit ne correspond jamais tout à fait à l’espérance initiale. L’inconscient livre ses vérités de manière détournée, souvent là où on ne les attend pas. L’inespéré vient alors déconstruire l’attente consciente, mais en l’accomplissant autrement : non pas en réalisant une promesse explicite, mais en produisant une vérité nouvelle, imprévisible.
La question « Que m’arrive-t-il ? » évoquée dans le texte correspond exactement au moment où l’inconscient fait irruption. L’analysant, face à un souvenir refoulé qui remonte, ou face à une interprétation de l’analyste, peut être bouleversé par l’évidence qui s’impose : quelque chose d’inespéré advient et change sa perception de lui-même. Il ne s’agit pas d’une promesse réalisée, mais d’une révélation qui excède tout ce qui pouvait être prévu.
Enfin, la citation affirme : « L’inespéré ne réalise pas une promesse, elle le déborde de toute part. » C’est ici que le parallèle avec la psychanalyse est le plus net. La cure analytique ne vise pas à réaliser un projet déjà fixé, ni à confirmer une attente du sujet. Elle l’expose à l’inattendu, à la découverte de ce qui le constitue profondément mais qu’il ignorait. L’inespéré psychanalytique, c’est la rencontre avec son propre inconscient, une rencontre toujours singulière, toujours surprenante, qui dépasse ce que l’on pensait trouver.
Ainsi, la citation met en lumière une vérité centrale de la psychanalyse : l’humain n’est pas gouverné uniquement par sa volonté consciente. L’existence est traversée par des surgissements imprévisibles, violents parfois, mais porteurs de transformation. L’inespéré est cette effraction du réel qui révèle au sujet ce qu’il ne savait pas encore de lui-même. Comme dans la cure, il faut accepter de ne pas tout maîtriser, d’accueillir l’inattendu, pour que la parole et le désir puissent se déployer.
.png)



